LE TETE-A-TETE INITIAL

Je suis dans la classe des moyens grands, à l’école Soupetard, j’ai quatre ans. À la récréation, je vais voir Frédéric parce qu’il a l’air sérieux et les yeux qui brillent. Je lui propose de partager mon goûter. J’ai disposé ma serviette rouge à carreaux sur le ciment comme une nappe. Assis sur les marches, face à face, nous mangeons des galettes Saint-Sauveur sans rien nous dire. C’est étrange. 
« - J’en aurai encore demain, si tu veux, on pourra goûter ensemble. 
- D’accord. »
Quand la cloche sonne, le maître nous demande de former un rang deux par deux. Frédéric se place à côté de moi. Le maître nous compte avant de nous faire entrer en classe. Frédéric : « On ne respire pas par la bouche. On respire par le nez. » Un temps, une apnée. Moi : « Mais c’est parce que je peux pas faire autrement, c’est parce ce que j’arrive pas à respirer normalement, mais ça va changer, je dois me faire opérer des végétations, mais le docteur a dit qu’il valait mieux attendre et mes parents… »
Je me suis arrêtée de parler. Je voyais son regard franc et droit. Il a répété « On ne respire pas par la bouche. On respire par le nez ». Il restait des miettes de galettes au coin de ses lèvres. J’ai compris que tout était foutu.

Lucie.

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